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— Tu as raison, bien sûr, dit le doniate. Ce n’était pas seulement un enfant mort-né. Il y avait – ou il y aurait eu – deux nés-ensemble, mais plus que nés-ensemble, ils étaient joints.

Ayla se rappela qu’une femme du Clan avait elle aussi accouché de deux bébés collés l’un à l’autre et formant un être monstrueux. Elle éprouva une vive compassion pour Danella.

— L’un était de taille normale, l’autre beaucoup plus petit et pas entièrement formé, avec des parties de son corps attachées à celui du premier, poursuivit le Zelandoni. Par chance, ils n’avaient pas de souffle, sinon j’aurais dû le leur ravir. Cela aurait été trop dur pour Danella. Elle a déjà terriblement souffert comme ça. Elle a beaucoup saigné et je suis étonné qu’elle ait survécu. Sa mère, la mère de Stevadal et moi avons décidé de le cacher au couple. Un enfant mort-né leur causerait déjà assez d’angoisse si Danella était de nouveau grosse. Tu peux l’examiner si tu veux, mais c’est arrivé il y a quelque temps déjà, à la fin de l’hiver. Elle a bien guéri, il faut seulement qu’elle recouvre des forces et qu’elle surmonte son chagrin. Votre visite y a peut-être contribué. Je l’ai vue tenir le bébé Jonayla dans ses bras, c’est bon signe. Elle semble s’être prise d’amitié pour toi, Ayla, et aussi pour ton loup. Elle aura peut-être envie de participer à la Réunion d’Été, maintenant.

 

 

— Jondalar ! s’écria Ayla quand elle arriva au camp de la Neuvième Caverne avec Zelandoni. Qu’est-ce que tu fais là ? Je te croyais au camp principal.

— J’y vais, répondit-il. Je suis simplement allé voir Rapide et Grise. Je n’ai pas passé beaucoup de temps avec eux et ils aiment la compagnie. Et toi, pourquoi es-tu venue ?

— Je voulais que Whinney nourrisse Grise pendant que je donnerais le sein à Jonayla et j’allais la laisser ici et puis nous avons pensé que ce serait peut-être le bon moment pour que Zelandoni entre dans le camp tirée par les perches.

— Alors, j’attendrai, dit Jondalar. Ou bien je pourrais vous accompagner monté sur Rapide, peut-être.

— Il faudrait emmener Grise aussi, fit observer Ayla.

Elle plissa le front puis sourit.

— Nous pourrions utiliser le petit collier que tu as fabriqué pour elle, elle s’habitue à le porter. Ce serait une bonne chose qu’elle s’habitue aussi à être parmi des gens qu’elle ne connaît pas.

— Nous ferions grosse impression, estima Zelandoni. Mais cela me plaît : j’aime mieux faire partie d’un spectacle qu’être la seule qu’on regarde bouche bée.

— Ajoutons Loup aussi, suggéra Ayla. La plupart des Zelandonii ont vu les animaux mais pas ensemble. Il en reste quelques-uns qui n’arrivent pas à croire que Whinney laisse Loup s’approcher de sa pouliche. S’ils voient qu’il n’est pas un danger pour Grise, cela les aidera à comprendre qu’il n’est pas dangereux pour eux non plus.

— À moins que quelqu’un ne tente de vous faire du mal, à toi ou à Jonayla, précisa Jondalar.

 

 

Jaradal et Robenan, qui jouaient devant la hutte du chef de la Septième Caverne, se ruèrent à l’intérieur.

— Wiimar ! Thona ! Venez voir ! cria Jaradal.

— Oui, venez vite ! fit Robenan en écho.

— Ils ont amené leurs chevaux, et Loup, et même Zelandoni est montée dessus ! s’exclama Jaradal.

— Du calme, les garçons, répondit Marthona en se demandant ce que Jaradal voulait dire.

Il ne lui semblait pas possible que la Première puisse se jucher sur un cheval.

— Venez voir, venez voir ! braillèrent ensemble les deux enfants tandis que Jaradal tentait de faire lever son aïeule du coussin sur lequel elle était assise.

Il se tourna vers Willamar.

— Viens, Wiimar !

Marthona et Willamar rendaient visite à Sergenor et Jayvena pour discuter de leur rôle dans la cérémonie à laquelle participeraient tous les chefs et, dans une moindre mesure, les anciens chefs. Ils avaient emmené Jaradal avec eux pour qu’il ne soit pas dans les jambes de sa mère : Proleva, comme d’habitude, prenait une part active à la préparation du festin accompagnant l’événement. Ramara, la compagne de Solaban, enceinte, et son fils Robenan, camarade de Jaradal et à peu près du même âge, étaient venus aussi pour que les deux enfants puissent jouer.

— Nous y allons, dit Willamar en aidant sa compagne à se lever.

Sergenor écarta le rideau qui fermait l’entrée et tous sortirent. Un spectacle étonnant les attendait : avançant lentement vers la grande hutte, Jondalar, monté sur Rapide, précédait Grise et Ayla, assise sur Whinney et portant Jonayla dans sa couverture. La jument tirait des perches sur lesquelles la Première avait pris place. Pour la plupart des Zelandonii, des humains sur des chevaux constituaient encore une vision insolite, sans parler du loup qui trottinait à côté d’eux. Mais voir la Première parmi Ceux Qui Servaient la Mère installée sur un siège tiré par un cheval était parfaitement stupéfiant.

La procession passa près du camp de la Septième Caverne et, bien qu’habitués aux animaux d’Ayla, Marthona, Willamar et les autres membres de la Neuvième Caverne étaient eux aussi sidérés. Marthona croisa le regard de la Première et, malgré l’expression sérieuse de la doniate, la mère de Jondalar décela une lueur de plaisir malicieux dans ses yeux. Plus qu’un défilé, c’était un spectacle. Quand ils parvinrent devant l’entrée de la hutte, Jondalar s’arrêta pour laisser Ayla et Whinney passer devant, puis il descendit de Rapide et tendit le bras pour aider la Première. En dépit de sa corpulence, elle se leva de son siège d’un mouvement gracieux et, parfaitement consciente qu’on l’observait, pénétra dans la hutte avec une extrême dignité.

— Alors, c’était pour Zelandoni, ces perches que nous avons aidé à fabriquer… murmura Willamar, abasourdi. Il faudra que je demande à Zelandoni quelle impression cela fait d’être tiré par un cheval.

— C’est courageux de sa part, souligna Jayvena. Je ne suis pas sûre que j’aurais accepté de m’asseoir là-dessus.

— Moi si ! s’exclama Jaradal, les yeux brillants. Thona, tu crois qu’Ayla me laissera essayer ?

— Moi aussi, réclama Robenan.

— Les jeunes sont toujours prêts à essayer quelque chose de nouveau, commenta Ramara.

— Si elle autorise Jaradal à le faire, tous les autres garçons du camp réclameront la même faveur, prédit Sergenor.

— Et quelques filles aussi, ajouta Marthona.

— Si j’étais Ayla, j’attendrais que nous soyons de retour à la Caverne, reprit Ramara. Ce ne serait pas alors très différent des petits tours qu’elle fait déjà faire à un ou deux enfants sur Whinney.

— C’est quand même très impressionnant, objecta Willamar. Je me souviens de ma réaction quand j’ai vu pour la première fois Ayla et Jondalar sur ces bêtes. Cela peut avoir quelque chose d’effrayant. D’ailleurs, ne nous a-t-il pas raconté que les gens s’enfuyaient à leur approche pendant son voyage de retour ?

La démonstration des perches et du siège n’avait pas ravi tout le monde. Marona, qui aimait être au centre de l’attention, sentit la jalousie monter en elle. Elle se tourna vers sa cousine.

— Je ne comprends pas qu’on puisse supporter d’être tout le temps autour de ces sales bêtes. Ayla sent le cheval et il paraît qu’elle dort avec ce loup. C’est répugnant.

— Elle dort aussi avec Jondalar, rappela Wylopa, et j’ai entendu dire qu’il refuse de partager les Plaisirs avec qui que ce soit d’autre.

— Ça ne durera pas, affirma Marona en lançant à Ayla un regard venimeux. Je le connais. Il me reviendra, je peux te le jurer.

Brukeval entendit la conversation des deux jeunes femmes et éprouva des sentiments contradictoires. Il aimait Ayla d’un amour sans espoir et voulait la protéger de la méchanceté de Marona, sa cousine : il avait été lui aussi sa cible et savait combien elle pouvait être cruelle. Mais il craignait qu’Ayla ne lui rappelle de nouveau qu’il était une Tête Plate et il ne pouvait le supporter, même s’il savait qu’elle ne le faisait pas pour le blesser, comme la plupart des autres. Il ne se regardait jamais dans une plaque de bois noirci et poli, mais il lui arrivait de surprendre son reflet dans l’eau et il haïssait ce qu’il voyait. Il savait pourquoi on lui donnait ce nom abominable et l’idée qu’il pût être justifié lui faisait horreur.

Madroman posait également un regard mauvais sur Jondalar et sa compagne. Il acceptait mal que la Première accorde autant de son attention à Ayla. Il ne trouvait pas juste que celle qui avait pour tâche de diriger tous les acolytes en favorise un aussi ouvertement alors qu’ils étaient rassemblés à une Réunion d’Été. Et bien sûr, Jondalar se retrouvait encore en bonne place. Pourquoi était-il revenu, celui-là ? Tout allait bien quand ce grand lourdaud était loin, surtout après que le Zelandoni de la Cinquième Caverne avait décidé de le prendre, lui, Madroman, comme acolyte, même s’il estimait qu’il devrait être lui-même Zelandoni, maintenant. Mais que pouvait-il espérer tant que la Grosse resterait à la tête de la Zelandonia ? Je trouverai un moyen, se promit-il.

Laramar tourna le dos à ces stupidités et s’éloigna en roulant ses propres pensées. Il avait assez vu ces chevaux et ce loup, surtout le loup. Il estimait que ces bêtes vivaient trop près de son abri à la Neuvième Caverne, elles prenaient toute la place, elles l’envahissaient. Avant leur arrivée, il pouvait passer par l’endroit qu’elles occupaient. À présent, pour rentrer chez lui, il devait faire un détour pour éviter le loup. Les rares fois où il s’en était approché, l’animal avait montré ses crocs, le poil hérissé, comme si tout le refuge de pierre lui appartenait.

En plus, cette femme se mêlait de tout, elle apportait des provisions ou des couvertures, comme par gentillesse, mais c’était en fait pour le surveiller. Il n’avait même plus une hutte à lui, maintenant. Les enfants se conduisaient comme si elle leur appartenait. Mais c’était son foyer, et ce qu’il faisait dans son foyer ne regardait personne.

Enfin, il y avait quand même les lointaines. À vrai dire, il aimait vivre là-bas. Il n’était pas réveillé la nuit par un des gosses en train de pleurer, ou par sa compagne qui rentrait ivre et lui cherchait querelle. Dans la lointaine où il dormait, les autres hommes étaient pour la plupart âgés et n’embêtaient personne. Ce n’était pas bruyant et agité comme dans les lointaines des jeunes, même si aucun de ses compagnons de hutte ne refusait de boire avec lui quand il leur offrait de son barma. Dommage qu’il n’y ait pas de lointaines à la Neuvième Caverne, pensa-t-il.

 

 

Ayla fit faire à Whinney le tour de la hutte de la Zelandonia avec les perches puis reprit la direction du camp principal. Jondalar la suivait, avec Rapide et Grise. L’endroit où se déroulait la Réunion d’Été, appelé Vue du Soleil d’après le nom de la Caverne proche, était souvent utilisé comme lieu de rassemblement. Quand il pleuvait, on apportait des pierres de la rivière pour recouvrir le sol boueux. Chaque année, on en ajoutait de nouvelles et l’emplacement du camp était maintenant défini par cette vaste zone pavée.

Lorsqu’ils furent légèrement à l’extérieur du camp, au-delà des pierres, au milieu d’un pré situé dans la plaine inondable de la rivière, Ayla fit halte.

— Enlevons les perches de Whinney et laissons les chevaux ici un moment pour qu’ils puissent brouter, proposa-t-elle. Je ne pense pas qu’ils s’éloigneront et s’ils le font, nous sifflerons pour les faire revenir.

— Bonne idée, approuva Jondalar. La plupart des gens savent qu’il vaut mieux ne pas les embêter lorsque nous ne sommes pas à proximité pour intervenir. Je vais enlever aussi leurs colliers.

Alors qu’ils s’occupaient des chevaux, ils virent approcher Lanidar avec son harnais spécial pour son lance-sagaie. Il leur fit signe puis siffla et obtint en retour un hennissement de bienvenue de Whinney et de Rapide.

— J’avais envie de voir les chevaux, dit-il. L’année dernière, j’ai pris plaisir à les garder et j’ai appris à les connaître. Cet été, je n’ai pas encore eu l’occasion de passer un peu de temps avec eux et je ne connais pas du tout la pouliche de Whinney. Vous croyez qu’ils se souviendront de moi ?

— Bien sûr, dit Ayla. Ils ont répondu à ton sifflement, non ?

Lanidar avait apporté quelques quartiers de pomme séchée dans un pli de sa tunique et il les offrit sur sa paume au jeune étalon puis à la jument, s’accroupit ensuite pour tendre un morceau de fruit à la pouliche. Grise demeura d’abord près des jambes arrière de sa mère. Bien qu’elle tétât encore, elle avait commencé à mâchonner de l’herbe pour imiter Whinney et, de toute évidence, elle était curieuse. Lanidar fut patient et au bout d’un moment Grise s’approcha lentement de lui.

La jument observait sa progéniture sans l’encourager ni la dissuader. Finalement, la curiosité fut la plus forte et Grise flaira la main ouverte du jeune garçon, regarda ce qu’elle contenait. Elle prit un quartier de pomme dans sa bouche, le laissa tomber. Lanidar le ramassa, fit un nouvel essai. Malgré son manque d’expérience, Grise sut utiliser sa langue et ses lèvres souples pour faire glisser le morceau de fruit dans sa bouche. Cette fois, elle mordit dedans. Le goût était nouveau mais elle était bien plus intéressée par Lanidar. Lorsqu’il la caressa et la gratta, elle fut conquise et il se redressa avec un sourire radieux.

— Nous allons les laisser un moment ici et nous reviendrons les voir de temps en temps, annonça Jondalar.

— Je serai heureux de les garder, comme l’année dernière, assura Lanidar. En cas de problème, j’irai vous chercher ou je sifflerai.

Ayla et Jondalar se regardèrent puis sourirent à leur tour.

— Je t’en serais reconnaissante. Je veux les laisser ici pour que les gens s’habituent à les voir et qu’eux-mêmes se sentent plus à l’aise avec les gens, en particulier Grise. Si tu es fatigué ou si tu dois partir, siffle pour nous prévenir.

— D’accord.

Ils quittèrent le pré plus tranquilles et lorsqu’ils revinrent, au soir, pour inviter Lanidar à partager le repas de leur Caverne, ils découvrirent que plusieurs jeunes hommes et quelques jeunes femmes, notamment Lanoga, portant sa sœur cadette Lorala, lui tenaient compagnie. Lorsqu’il avait gardé les chevaux, l’année précédente, c’était à l’enclos et au pré voisin proches du camp de la Neuvième Caverne, situé à quelque distance du camp principal. Peu de gens étaient venus et Lanidar n’avait alors aucun camarade, mais il avait appris depuis à utiliser un lance-sagaie et chassait régulièrement, ce qui avait élevé son statut. Il avait à présent des amis et même, semblait-il, quelques admirateurs.

Absorbés par leur conversation, les jeunes gens ne virent pas le couple approcher. Jondalar constata avec satisfaction que Lanidar se comportait de façon responsable en ne laissant pas le groupe de jeunes se presser autour des bêtes, en particulier de Grise. Il leur permettait de les caresser et de les gratter, mais un ou deux à la fois seulement. Il semblait sentir quand les chevaux, las de toute cette attention, souhaitaient paître en paix, et signifiait alors fermement aux visiteurs de les laisser tranquilles. Le couple ignorait qu’un peu auparavant il avait chassé quelques garçons tapageurs en les menaçant de prévenir Ayla qui, leur avait-il rappelé, était l’acolyte de la Première parmi Ceux Qui Servaient la Grande Terre Mère.

C’était à la Zelandonia qu’on demandait aide et secours, on respectait ses membres, on les révérait et on les aimait, souvent, ces sentiments étant toujours tempérés par une légère crainte. Les Zelandonia connaissaient intimement le Monde d’Après, le Monde des Esprits, l’endroit effrayant où l’on passait quand l’elan – la force de vie – quittait le corps. Ils avaient aussi d’autres pouvoirs extraordinaires. Les jeunes gens colportaient des rumeurs et les garçons en particulier aimaient se faire mutuellement peur en racontant ce qu’un Zelandoni pouvait infliger aux parties viriles de ceux qui suscitaient leur courroux.

Ils savaient tous qu’Ayla était une femme normale, nantie d’un compagnon et d’un bébé, mais elle était aussi un acolyte, un membre de la Zelandonia, et une étrangère. Sa façon de parler soulignait son étrangeté et leur rappelait qu’elle venait d’ailleurs, d’un lieu lointain, d’une contrée où aucun d’eux n’avait jamais voyagé, excepté Jondalar. Ayla montrait en outre des capacités stupéfiantes, comme celle de se faire obéir d’un cheval et d’un loup. De quoi était-elle encore capable ? Certains regardaient même avec méfiance Jondalar, qui, bien que né zelandonii, avait acquis des façons bizarres pendant son absence.

— Salutations, Ayla, Jondalar et Loup, dit Lanidar.

Il savait, lui, qu’ils approchaient, il avait remarqué un changement dans le comportement des chevaux. Faute de les voir dans le jour déclinant, les bêtes avaient senti leur approche et s’étaient dirigées vers eux.

— Salutations, Lanidar, répondit Ayla. Ta mère et ton aïeule sont au camp de la Septième Caverne, avec une grande partie de la Neuvième. Tu es convié à partager leur repas.

— Qui gardera les chevaux ? s’enquit le garçon en se baissant pour caresser Loup, qui l’avait rejoint.

— Nous avons déjà mangé, répondit Jondalar. Nous les ramènerons à notre camp.

— Merci, Lanidar, reprit Ayla. J’apprécie ton aide.

— Je le fais avec plaisir, déclara Lanidar.

C’était sincère. Non seulement il aimait les chevaux, mais l’attention que cela lui valait ne lui déplaisait pas. Quand il les gardait, il recevait la visite de jeunes garçons curieux… et aussi de jeunes filles.

 

 

Avec l’arrivée de la Première parmi Ceux Qui Servaient la Grande Terre Mère, le camp de la Réunion d’Été connut bientôt l’activité fiévreuse coutumière en cette saison. Les Rites des Premiers Plaisirs entraînèrent quelques problèmes, somme toute habituels, mais aucun aussi compliqué que celui que Janida avait posé l’année d’avant, quand elle s’était révélée enceinte avant la cérémonie. D’autant que la mère de Peridal avait fait obstacle à l’union de son fils avec la jeune femme. L’opposition de la mère n’était pas entièrement déraisonnable puisque son fils n’avait que treize ans et demi et Janida seulement treize.

Ce n’était pas uniquement leur jeunesse qui était en cause. Même si la mère de Peridal se refusait à l’admettre, la Première était sûre qu’elle rejetait cette union parce qu’une jeune femme qui partageait les Plaisirs avant les Rites perdait de son statut. Janida avait cependant élevé aussi son statut parce qu’elle était enceinte. Quelques hommes plus âgés s’étaient déclarés disposés à lui offrir leur foyer et à accueillir l’enfant, mais c’était avec Peridal qu’elle avait partagé les Plaisirs et c’était lui qu’elle voulait. Elle l’avait fait non seulement parce qu’il l’en avait pressée mais aussi parce qu’elle l’aimait.

Après les Rites des Premiers Plaisirs, la première Matrimoniale de l’été aurait dû avoir lieu, mais les Zelandonii repérèrent alors un vaste troupeau de bisons à proximité et les chefs décidèrent qu’il fallait faire passer la chasse avant la cérémonie. Joharran en discuta avec Zelandoni et elle fut d’accord pour reporter la Matrimoniale.

Il était impatient de voir Jondalar et Ayla utiliser les chevaux pour aider à pousser les bisons vers le piège construit pour enfermer les bêtes. Les chasseurs feraient la démonstration des avantages des lance-sagaies en abattant celles qui parviendraient à s’échapper. Le chef de la Neuvième Caverne tenait à ce que tous les Zelandonii puissent constater qu’on pouvait lancer une sagaie plus loin et avec plus de sécurité avec cet instrument. Les lance-sagaies devenaient l’arme préférée de la plupart de ceux qui avaient eu l’occasion de les voir utilisés. L’histoire de la chasse aux lions avait déjà fait le tour de la Réunion d’Été puisque ceux qui y avaient participé racontaient avec flamme cette dangereuse confrontation.

Les jeunes, en particulier, étaient enthousiasmés par la nouvelle arme. Un bon nombre de ceux qui n’étaient pas tout à fait convaincus se trouvaient parmi ceux qui savaient lancer habilement à la main. Ils se sentaient à l’aise en chassant comme ils l’avaient toujours fait et ne souhaitaient pas apprendre une nouvelle méthode à un stade avancé de leur vie.

 

 

Le jour de la cérémonie, le temps s’annonçait beau et clair et une impatience fébrile s’était emparée de tout le camp, pas seulement de ceux qui s’uniraient. C’était une célébration que tous attendaient et à laquelle tous prendraient part. La cérémonie incluait l’approbation des nouvelles unions par toutes les personnes présentes. Ces unions provoquaient des changements dans les noms et liens au-delà des nouveaux couples et de leurs familles, le statut de chacun ou presque s’en trouvant modifié à des degrés divers.

Les Matrimoniales de l’année précédente avaient été un moment éprouvant pour Ayla, non seulement parce que c’était sa Cérémonie d’Union mais surtout parce qu’elle venait d’arriver à la Neuvième Caverne et qu’elle était au centre de l’attention. Elle voulait se faire aimer et accepter par le peuple de Jondalar et s’efforçait d’y trouver sa place. La plupart des Zelandonii la lui accordèrent mais pas tous.

Cette année, les chefs et anciens chefs, ainsi que la Zelandonia, occupaient des positions stratégiques pour pouvoir répondre lorsque la Première demanderait l’avis des personnes présentes, ce qui pour elle signifiait leur approbation. La doniate n’avait pas été enchantée par les hésitations d’une partie de la foule, l’année précédente, lorsqu’elle avait réclamé son accord sur l’union de Jondalar et d’Ayla et elle ne voulait pas que cela devienne une habitude. Elle aimait mener rondement ses cérémonies.

La fête qui accompagnait une Matrimoniale était très attendue. Les Zelandonii préparaient leurs meilleurs plats et revêtaient leurs plus beaux habits : ce n’était pas seulement un jour heureux pour ceux qui s’unissaient, c’était aussi l’occasion de célébrer une Fête de la Mère. Tout le monde était encouragé à honorer la Grande Terre Mère en partageant le Don des Plaisirs, en s’accouplant le plus de fois qu’on pouvait avec ceux qu’on choisissait, à la condition que le choix fût réciproque.

On était encouragé à honorer ainsi la Mère mais on n’y était pas tenu. Certaines parties du camp étaient réservées à ceux qui ne souhaitaient pas participer. On n’incitait jamais les enfants à y prendre part et si certains se collaient çà et là l’un à l’autre pour imiter les adultes, ils suscitaient généralement des sourires indulgents. Il y avait aussi des adultes qui n’avaient pas envie de participer, notamment ceux qui étaient malades ou blessés, ou simplement fatigués, ou des femmes qui venaient de donner naissance ou qui avaient leur période de saignement lunaire. Les membres de la Zelandonia qui passaient des épreuves incluant l’abstinence des Plaisirs pendant un temps se portaient volontaires pour garder les enfants et aider les autres.

 

 

La Première se trouvait dans l’abri de la Zelandonia, assise sur un tabouret. Elle avala le reste de son infusion de fleurs d’aubépine et de cataire et annonça :

— Il est temps.

Elle tendit sa coupe vide à Ayla, se leva et se dirigea vers le fond de la hutte, percée d’une autre ouverture dissimulée en partie à l’extérieur par un bûcher où l’on entreposait du bois.

Ayla renifla machinalement la coupe, remarqua tout aussi machinalement les ingrédients de l’infusion et conclut que la Première avait sans doute sa période lunaire. La cataire, plante vivace aux feuilles duvetées, aux fleurs verticillées blanches, roses ou violettes, était un léger sédatif qui calmait la tension et les maux de ventre. Ayla s’interrogea cependant sur la présence d’aubépine. Les fleurs d’aubépine avaient un goût particulier qui plaisait peut-être à la Première mais la doniate les utilisait aussi pour préparer la médecine destinée à Marthona. Ayla savait maintenant que les remèdes que Zelandoni donnait à la mère de Jondalar soignaient son cœur, ce muscle de la poitrine qui pompait le sang. Elle avait vu ce muscle dans le corps d’animaux qu’elle avait abattus et ensuite dépecés. L’aubépine l’aidait à pomper plus vigoureusement et sur un meilleur rythme. Ayla reposa la coupe et sortit par l’entrée principale.

Loup, qui attendait dehors, leva vers elle des yeux pleins d’attente. Elle sourit, changea la position de Jonayla endormie dans la couverture à porter et s’accroupit devant l’animal. Lui prenant la tête à deux mains, elle le regarda dans les yeux.

— Loup, je suis si heureuse de t’avoir trouvé, dit-elle en ébouriffant son poil touffu.

Elle pressa son front contre le sien et poursuivit :

— Tu m’accompagnes à la Matrimoniale ?

L’animal continua à la regarder.

— Tu peux venir si tu veux, mais je pense que tu t’ennuieras. Pourquoi n’irais-tu pas plutôt chasser ?

Elle se releva.

— Va, Loup, tu peux. Va chasser pour toi, dit-elle en tendant la main vers la lisière du camp.

Il la regarda un moment encore puis s’éloigna en trottant.

Ayla avait mis le vêtement qu’elle avait porté quand elle s’était unie à Jondalar, la tenue de Matrimoniale qu’elle avait gardée dans un sac pendant le voyage d’une année du pays des Mamutoï, loin à l’est, à celui du peuple de Jondalar, les Zelandonii, dont le territoire s’étendait jusqu’aux Grandes Eaux, à l’ouest. Cette tenue rappelait à de nombreuses personnes la cérémonie de l’année précédente mais, pour Zelandoni, elle évoquait les objections que certains avaient soulevées. Même s’ils ne l’avaient pas exprimé franchement, la Première savait que c’était avant tout parce que Ayla était une étrangère, et une étrangère aux capacités troublantes.

Cette année, Ayla serait simple spectatrice et elle se faisait une joie d’assister à la cérémonie. Se remémorant sa propre Matrimoniale, elle savait que les promis étaient regroupés dans la petite hutte voisine, vêtus de leurs plus beaux atours, à la fois nerveux et pleins de joie. Leurs témoins et invités se regroupaient sur le devant du lieu de rassemblement, le reste du camp prenant place derrière.

À son arrivée, Ayla scruta la foule, repéra des visages familiers de la Neuvième Caverne et se dirigea vers eux. Plusieurs l’accueillirent par un sourire, notamment Jondalar et Joharran.

— Tu es particulièrement belle ce soir, la complimenta son compagnon. Je n’avais pas vu ces vêtements depuis l’été dernier.

Il portait la tunique de cuir blanc, uniquement ornée de queues d’hermines, qu’Ayla lui avait faite pour leur Matrimoniale. Sur lui, elle était d’une beauté époustouflante.

— Cet habit mamutoï te va bien, lui dit son frère.

Il était sincère et comprenait aussi la richesse dont ce vêtement témoignait. Nezzie, la compagne du chef du Camp du Lion, celle qui l’avait persuadé d’adopter Ayla, l’avait offert à la jeune femme mais il avait été fabriqué à la demande du Mamut, l’homme le plus respecté du camp, qui l’avait accueillie comme fille du Foyer du Mammouth. À l’origine, elle aurait dû le porter pour son union avec Ranec, fils de la compagne de Wymez, le frère de Nezzie. Dans sa jeunesse, Wymez avait voyagé loin au sud, s’était uni à une femme à la peau sombre et était revenu au bout de dix ans, après avoir malheureusement perdu cette compagne pendant son retour.

Il avait rapporté des histoires extraordinaires, de nouvelles techniques de taille du silex, et un étonnant enfant à la peau brune, aux cheveux noirs et très frisés, que Nezzie avait élevé comme le sien. Parmi ses frères et sœurs à la peau blanche et aux cheveux blonds, Ranec avait été un enfant exceptionnel qui provoquait toujours un trouble excitant. Il était devenu un homme plein d’esprit, aux yeux sombres et rieurs, que les femmes trouvaient irrésistible, et doué d’un remarquable talent pour la gravure.

Comme les autres, Ayla avait été fascinée par la couleur inhabituelle de Ranec et par son charme. Lui aussi avait trouvé la belle étrangère séduisante et il l’avait montré, ce qui avait provoqué chez Jondalar une jalousie qu’il ne se connaissait pas. Le grand homme blond aux yeux bleus envoûtants ne comptait plus ses conquêtes féminines et il n’avait pas su comment maîtriser un sentiment qu’il n’avait jamais éprouvé auparavant. Ayla n’avait pas compris le comportement déconcertant de Jondalar et avait finalement promis de prendre Ranec pour compagnon parce qu’elle pensait que Jondalar ne l’aimait plus et que le graveur à la peau sombre et aux yeux rieurs lui plaisait beaucoup. Les Mamutoï avaient appris à aimer Ayla et Jondalar pendant l’hiver qu’ils avaient passé au Camp du Lion et ils avaient tous conscience du problème sentimental des trois jeunes gens.

Nezzie en particulier avait noué des liens très forts avec Ayla en raison de la tendresse et de la compréhension que celle-ci montrait à l’enfant différent que Nezzie avait adopté, un être faible physiquement, incapable de parler. Ayla avait soigné son cœur malade et lui avait rendu la vie moins difficile. Elle avait aussi appris à Rydag la langue des signes du Clan, et la facilité et la vitesse avec lesquelles il l’avait acquise avaient fait comprendre à Ayla qu’il gardait dans son esprit des souvenirs du Clan. Elle avait enseigné à tout le Camp du Lion une forme plus simple de cette langue sans mots afin que Rydag puisse communiquer avec eux, ce qui avait comblé Nezzie de joie. Ayla s’était rapidement mise à aimer Rydag, non seulement parce qu’il lui rappelait son propre fils, qu’elle avait dû abandonner, mais plus encore pour ce qu’il était, même si, finalement, elle n’avait pas réussi à le sauver.

Lorsque Ayla avait décidé de suivre Jondalar au lieu de rester pour s’unir à Ranec, Nezzie, bien que sachant le chagrin que ce départ causerait au neveu qu’elle avait élevé, avait offert à la jeune femme les magnifiques habits qui avaient été faits pour elle et lui avait dit de les porter quand elle s’unirait à Jondalar. Ayla ne s’était pas vraiment rendu compte de la richesse et du statut que cette tenue matrimoniale impliquait mais Nezzie en connaissait la valeur, ainsi que le Mamut, le perspicace vieux chef spirituel. À son port et à ses manières, ils avaient deviné que Jondalar jouissait d’un statut élevé parmi les siens et qu’Ayla aurait besoin de quelque chose qui ferait aussi impression quand elle vivrait là-bas.

Si Ayla ne saisissait pas tout à fait le statut que cette tenue représentait, elle comprenait la qualité du travail qu’elle avait exigée. La tunique et les jambières étaient en peau de cerf et d’antilope saïga et avaient une couleur jaune doré presque assortie à celle de ses cheveux. On l’avait obtenue en partie avec le type de bois utilisé pour fumer les peaux, en partie avec le mélange d’ocres jaune et rouge qu’on leur avait appliqué. Il avait fallu longuement les gratter pour les rendre souples mais, au lieu de leur donner le fini velouté de la peau de daim, on avait poli le cuir, on l’avait frotté avec de l’ocre mêlée de graisse en utilisant un outil en ivoire qui compactait la peau, lui donnait un lustre éclatant et la rendait quasiment imperméable.

La longue tunique, assemblée par de fines coutures, tombait en formant derrière un triangle pointant vers le bas. Elle s’ouvrait devant et sous les hanches, les pans s’évasaient, de sorte qu’en les rapprochant on obtenait un autre triangle pointe en bas. Les hautes jambières étaient ajustées, sauf aux chevilles, où on pouvait les retrousser légèrement ou les passer sous le talon selon les chausses qu’on avait choisi de porter. Mais l’excellence du matériau servait uniquement de base à ce vêtement exceptionnel. La décoration qu’on y avait ajoutée en faisait une création d’une beauté et d’une valeur rares.

La tunique et la partie inférieure des jambières étaient couvertes de motifs géométriques faits essentiellement de perles d’ivoire, certains vides, d’autres pleins, rehaussés par des broderies de couleur. Cela commençait par des triangles pointe en bas qui horizontalement devenaient des zigzags et verticalement prenaient la forme de losanges et de chevrons puis se transformaient en figures complexes telles que des spirales aux angles droits et des rhomboïdes concentriques. Les perles d’ivoire étaient mises en valeur par des perles d’ambre, parfois plus claires, parfois plus sombres que le cuir mais de la même couleur. Plus de cinq mille perles d’ivoire taillées dans une défense de mammouth, puis polies et percées à la main, étaient cousues sur le vêtement.

Une ceinture tressée aux dessins géométriques semblables fermait la tunique à la taille. Comme les broderies, elle était faite de fibres dont la couleur naturelle se passait de teinture : poils de mammouth laineux d’un roux profond, laine de mouflon ivoire, duvet brun de bœuf musqué et longs poils de rhinocéros laineux allant du noir au rougeâtre. Ces fibres étaient appréciées non seulement pour leurs couleurs mais parce qu’elles provenaient d’animaux dangereux et difficiles à chasser.

La qualité du travail requise pour fabriquer cette tenue éclatait dans chaque détail. Tout Zelandonii connaisseur devinait que quelqu’un s’était procuré les matériaux les plus précieux et les avait confiés à des artisans accomplis.

Lorsque la mère de Jondalar l’avait vue pour la première fois, l’année d’avant, elle avait compris que la personne qui était à l’origine de cette tenue jouissait d’un grand respect et d’une très haute position au sein de sa communauté. À l’évidence, il avait fallu beaucoup de temps et de travail pour la réaliser et on l’avait cependant offerte à Ayla lorsqu’elle était partie. Ayla disait qu’elle avait été adoptée par un vieux chef spirituel appelé Mamut, homme qui possédait un tel pouvoir et un tel prestige – une telle « richesse », en un sens – qu’il pouvait se permettre de faire cadeau de la tenue matrimoniale et de la valeur qu’elle représentait. Cela, Marthona le comprenait mieux que personne.

Ayla avait en fait apporté elle-même une dot qui lui conférait le statut nécessaire pour que son union n’abaisse pas la position de Jondalar et de sa famille. Marthona s’était fait un devoir d’en parler à Proleva, qui ne manqua pas d’en faire part à son fils aîné.

Joharran fut heureux de revoir cette tenue précieuse dont il saisissait à présent pleinement la valeur. Il se rendait compte que si on en prenait grand soin – et il n’en doutait pas – ce vêtement durerait très longtemps. Les ocres utilisées pour lustrer le cuir faisaient plus que lui ajouter de la couleur et le rendre imperméable, elles le préservaient aussi des insectes et de leurs œufs. Il serait probablement porté par les enfants d’Ayla et peut-être par leurs enfants, et lorsque le cuir se serait enfin dégradé, les générations suivantes réutiliseraient les perles d’ambre et d’ivoire.

Joharran connaissait la valeur des perles d’ivoire. Il avait eu récemment l’occasion d’en troquer pour lui-même et plus particulièrement pour sa compagne, et en se rappelant la transaction il considérait le somptueux vêtement d’un œil neuf. Il regarda autour de lui et remarqua que de nombreux Zelandonii observaient Ayla à la dérobée.

L’année précédente, lorsqu’elle avait porté cette tenue pour sa Matrimoniale, tout en Ayla paraissait étrange et inhabituel. Les Zelandonii s’étaient maintenant habitués à elle, à la façon dont elle parlait, aux animaux dont elle se faisait obéir. Son appartenance à la Zelandonia rendait son étrangeté plus « normale », si tant était qu’un Zelandoni pût être normal. Cette tenue la distinguait à nouveau, rappelait ses origines étrangères mais aussi le statut et la richesse qu’elle apportait avec elle.

Marona et Wylopa faisaient partie de ceux qui l’observaient.

— Regarde-la se pavaner, maugréa Marona, les yeux pleins d’envie. Tu sais, cette tenue aurait dû m’appartenir. Jondalar m’était promis. Il aurait dû s’unir à moi à son retour et m’en faire cadeau.

Après une pause, elle ajouta, d’un ton méprisant :

— Elle est trop large de hanches pour porter ça, de toute façon.

Tandis qu’Ayla et les autres se frayaient un chemin vers l’endroit que la Neuvième Caverne s’était réservé pour assister aux cérémonies, Joharran et Jondalar remarquèrent le regard malveillant de Marona. Le premier se pencha vers le second et lui glissa à mi-voix :

— Tu sais, si Marona en a un jour la possibilité, elle causera du tort à Ayla.

— Tu as raison et c’est de ma faute, reconnut Jondalar. Elle est persuadée que j’avais promis de m’unir à elle. C’est faux mais je comprends pourquoi elle le pense.

— Ce n’est pas de ta faute. Chacun doit pouvoir faire ses choix. Tu es parti longtemps. Elle n’avait aucun droit sur toi et n’aurait rien dû attendre. Après tout, elle a pris un compagnon et s’en est séparée pendant ton absence. Tu as fait un meilleur choix, elle le sait. Elle ne supporte pas que tu aies ramené quelqu’un qui a plus qu’elle à offrir. Voilà pourquoi elle essaiera de vous causer des ennuis un jour.

— C’est possible, répondit Jondalar.

Il ne voulait toutefois pas y croire, il préférait accorder à Marona le bénéfice du doute.

La cérémonie commença et retint l’attention des deux frères, qui ne songèrent plus à la femme jalouse. Ils n’avaient pas remarqué que d’autres yeux fixaient aussi Ayla : ceux de leur cousin Brukeval. Celui-ci avait admiré la façon dont Ayla avait affronté les rires moqueurs de la Caverne quand Marona était parvenue par rouerie à lui faire porter des sous-vêtements de garçon le jour de son arrivée. Dans la soirée, lorsque Ayla avait fait la connaissance de Brukeval, elle avait perçu ses origines de Clan et s’était sentie à l’aise avec lui. Elle l’avait traité avec une gentillesse à laquelle il n’était pas habitué, surtout de la part de jolies femmes.

Plus tard, lorsque Charezal, un étranger d’une Caverne zelandonii lointaine, s’était moqué de lui en le traitant de Tête Plate, Brukeval avait été pris d’un accès de rage. Aussi loin que sa mémoire remontait, les autres enfants de la Caverne l’avaient toujours taquiné avec ce nom et Charezal en avait visiblement eu vent. Il avait aussi entendu dire que pour provoquer ce cousin du chef à l’aspect étrange il suffisait de faire des insinuations sur sa mère. Brukeval ne l’avait pas connue, elle était morte peu après sa naissance, mais c’était pour lui une raison supplémentaire de l’idéaliser. Elle n’était pas comme ces animaux ! Et lui non plus ! C’était impossible.

Il savait qu’Ayla était la compagne de Jondalar et qu’il ne pourrait jamais la ravir à son superbe cousin grand et blond, mais, lorsqu’il l’avait vue braver les rires, il était instantanément tombé amoureux d’elle. Bien que Jondalar l’eût toujours bien traité et ne se soit jamais joint à ceux qui le tourmentaient, Brukeval éprouvait en cet instant de la haine envers lui, et aussi envers Ayla, parce qu’il ne pourrait jamais l’avoir.

S’ajoutant aux blessures qu’on lui avait constamment infligées, les remarques cruelles du jeune homme qui avait tenté de détourner Ayla de lui avaient fait naître en Brukeval une colère incontrôlable. Par la suite, Ayla s’était montrée plus distante et ne s’était plus adressée à lui avec la même aisance.

Jondalar n’avait pas parlé à Brukeval du changement d’attitude d’Ayla après son accès de violence mais Ayla avait expliqué à son compagnon que la colère du jeune homme lui avait rappelé trop vivement Broud, le fils du chef du Clan. Broud l’avait détestée d’emblée et lui avait causé plus de souffrances et de chagrin qu’elle n’aurait pu l’imaginer. Elle avait appris à le haïr autant qu’il la haïssait, et à le craindre, pour de bonnes raisons. C’était à cause de lui qu’elle avait finalement dû quitter le Clan et abandonner son fils.

Fort du sentiment de douce chaleur qu’il avait éprouvé à leur première rencontre, Brukeval avait continué à contempler Ayla de loin chaque fois qu’il en avait l’occasion, et plus il la contemplait, plus il en était amoureux. Lorsqu’il la voyait avec Jondalar, il s’imaginait à la place de son cousin. Il suivait même le couple quand il se rendait dans des endroits écartés pour partager les Plaisirs, et lorsqu’il avait vu Jondalar goûter au lait d’Ayla, il avait été pris d’un violent désir de faire de même.

Mais il craignait aussi qu’elle ne le traite encore de Tête Plate, ou du nom qu’elle donnait à ces créatures, le Clan. Ce seul nom de Tête Plate l’avait tant fait souffrir dans son enfance qu’il ne supportait plus de l’entendre. Ayla ne lui donnait pas le même sens méprisant que la plupart des gens, il le savait, mais c’était encore pire. Elle parlait d’eux avec affection, parfois avec amour, alors qu’il les haïssait. Brukeval se sentait écartelé dans ses sentiments pour elle : il l’aimait et il la détestait.

La partie cérémonielle de la Matrimoniale fut interminable. C’était une des rares occasions où l’on récitait la liste complète des noms et liens de chaque promis. Les membres de leur Caverne approuvaient de vive voix leur union puis tous les Zelandonii présents faisaient de même. Enfin, chaque couple était uni physiquement par une lanière ou une corde, attachée en général au poignet droit de la femme et au poignet gauche de l’homme, ou parfois l’inverse, ou même aux deux poignets gauches ou droits. Une fois nouée, la corde restait en place jusqu’à la fin des festivités de la soirée.

Parents et amis souriaient toujours des nouveaux couples qui trébuchaient et se cognaient, et si le spectacle pouvait être drôle, beaucoup observaient avec attention comment les jeunes gens réagissaient, avec quelle rapidité ils apprenaient à s’accommoder l’un de l’autre. C’était la première épreuve du lien qu’ils venaient de nouer et les anciens échangeaient en murmurant leurs impressions sur la qualité et la longévité des diverses unions en se fondant sur la façon dont ces jeunes s’habituaient à être physiquement attachés l’un à l’autre. La plupart souriaient ou riaient d’eux-mêmes, attendaient patiemment d’être seuls pour défaire – et en aucun cas trancher – le nœud.

Si c’était difficile pour un couple, ce l’était plus encore pour ceux qui avaient choisi une union à trois – ou plus rarement à quatre –, mais cette difficulté était opportune puisqu’une telle union demanderait une plus grande adaptation pour réussir. Chacun devait avoir au moins une main libre et c’était donc généralement les mains gauches qu’on attachait ensemble dans le cas des unions multiples. Se rendre d’un endroit à un autre, remplir un plat de nourriture et manger, évacuer l’eau de son corps, ou une matière solide : tout devait être synchronisé, que l’on soit deux ou plus. Parfois, une personne ne pouvant supporter cette entrave était envahie de frustration et de colère, ce qui n’augurait jamais bien de son union. Rarement, le nœud était tranché pour rompre la relation avant qu’elle ait vraiment commencé. Un nœud tranché signifiait toujours la fin d’une union, de même que le moment où on nouait la corde symbolisait son début.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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